Louis ARAGON écrit ce poème, « C » ( Les Ponts- de- Cé est une commune sur la Loire, près d’Angers), qui évoque le désastre de juin 1940, et le séisme moral qui s’y attache. Car, si les élites font sciemment le choix de la défaite ( cf l’ouvrage d’Annie LACROIX-RIZ). Si Claude BOURDET, grand Résistant, peut écrire dans son livre de mémoires : « on n’avait pas besoin d’être marxiste, pour constater que la classe dirigeante s’était emparée de la France, pour la gérer et l’exploiter à son profit, comme il ne lui avait jamais été possible, depuis le Second Empire ( cf « l’aventure incertaine, éditions du Félin, 1998). En revanche, le Peuple français traumatisé, accuse le choc, et prend de plein fouet, ce que certains historiens comme Eric ROUSSEL appellent « le naufrage »: la honte, les larmes, le déshonneur submergent des français désemparés, désespérés, écrasés par la présence de l’ennemi. C’est cette douleur que Louis ARAGON a capté et exprime, avec beaucoup de finesse et de sensibilité, dans ce poème.
Comme on retient les pans d’un rêve à son réveil, le souvenir d’une vieille chanson française, parlant d’un chevalier blessé, les lilas et les roses qui fleurissent au mois de juin, la région de l’Anjou, et des « bons » rois de France, voilà tout ce qui reste de cette vie heureuse, qui vient de sombrer, basculer définitivement avec la défaite de la France et la capitulation de Paris…
C
« J’ai traversé les ponts de Cé
« C’est là que tout a commencé
« Une chanson des temps passés
« Parle d’un chevalier blessé
« D’une rose sur la chaussée
« Et d’un corsage délacé
« Du château d’un duc insensé
« Et des cygnes dans le fossé
« De la prairie où vient danser
« Une éternelle fiancée
« Et j’ai bu comme un lait glacé
« Le long lai des gloires faussées
« La Loire emporte mes pensées
« Avec les voitures versées
« Et les armes désamorcées
« Et les larmes mal effacées
« O ma France O ma délaissée
« J’ai traversé les ponts de Cé ».
(Le roman inachevé 1956)