par Fabrice MAUCCI, ancien conseiller municipal (1995-2008)
Il y a des mouvements sociaux qu’on perçoit corporatistes, mais qui en fait nous alertent sur bien plus que la situation des salariés. Il y a des entreprises publiques dont le statut évolue vers ce qui semble être la « norme », mais dans certains cas cette transformation cache un vrai piège pour le territoire concerné. C’est comme cela que tous les Aixois devraient comprendre la mobilisation des agents des Thermes nationaux contre la privatisation complète et brutale de l’établissement.
Certes, les 200 masseurs-physiothérapeutes se défendent d’abord contre le sort qui leur est fait, unique dans les annales de l’Etat et digne des pires attitudes observables dans le secteur privé : pression morale, chantage à l’emploi et à la mobilité géographique, ultimatum pour abandonner leur statut au profit d’une société nouvelle non encore constituée, dégradation des retraites futures, reclassement impréparé… On leur demande même de tirer un trait sur un métier et des compétences qu’ils pourraient pourtant mettre à profit ailleurs dans le public ou dans le privé si demain, un simple texte de loi les y autorisait.
Mais leur combat va au-delà, il nous concerne tous. La baisse de l’activité et de l’emploi aux thermes est un terrible coup pour les Aixois, et pour l’économie locale qui a déjà perdu 16 M€ en année pleine depuis 2001. Demain, elle affectera les recettes fiscales et le budget de la Ville, donc notre capacité à bâtir l’avenir.
Bien sûr, la situation financière des Thermes est très dégradée. Mais le déclin thermal aixois, qui s’est poursuivi malgré la mise en route de Chevalley, alors que les stations concurrentes stabilisaient ou consolidaient leur fréquentation, n’est pas imputable aux employés. Leur savoir-faire est même le seul avantage compétitif qui nous reste. Les causes de l’échec sont multiples, mais pour beaucoup réversibles : le coût du séjour, une promotion qui a volontairement oublié le thermalisme depuis 7 ans, le confort du transport et de l’accueil à Chevalley, l’inutilité de certains investissements, et surtout la qualité et la variété de l’offre touristique globale d’Aix-les-Bains.
Dans ce contexte, une privatisation complète n’apporte rien. Elle est même un danger pour la ville et les 4000 emplois qui dépendent directement et indirectement des thermes. En effet, un acteur privé a deux options pour dégager le bénéfice qui l’intéresse légitimement : soit il « investit » et fait tout pour augmenter la masse de sa clientèle, soit il se contente d’une clientèle réduite et triée en ajustant à la baisse le nombre d’emplois. Dans le premier cas, il prend un risque dont la collectivité profitera ; dans le deuxième il « réduit la voilure » de l’économie locale toute entière.
C’est la raison pour laquelle la seule vraie solution consiste à créer une Société d’Economie Mixte (SEM), chargée du « développement thermal » au sens large. Les pertes financières actuelles des Thermes, et l’apport financier considérable (15 M€) des collectivités locales depuis la construction de Chevalley, justifient que l’Etat cède pour un euro symbolique la propriété de l’établissement à la Ville, au Département et à la Région. Ces territoires sont bien plus concernés et compétents que l’Etat, et s’il faut un bras de fer politique pour obtenir cela, le jeu en vaut la chandelle. Des entreprises et des particuliers – du bassin aixois le plus possible – apporteraient leur participation pour effectuer les investissements qui relanceraient l’attractivité et amélioreraient l’équilibre financier des thermes. Ainsi, la rénovation des thermes Pellegrini du XIXème siècle pourrait être terminée et aboutir à une location au profit d’un ou plusieurs hôtels, élargissant la clientèle et les recettes de la SEM.
Cette piste a ses partisans à Gauche, au Centre comme à Droite de l’échiquier politique local. Au moment où les plus libéraux redonnent un rôle à la sphère publique dans l’économie, il serait bon à l’échelle aixoise, qu’on admette aussi les erreurs stratégiques du passé et qu’on prépare l’avenir avec pour seuls dogmes « l’humanité » et l’efficacité dans la durée. Les commerçants, les médecins, les hébergeurs l’ont semble-t-il admis et sont prêts. Aux Aixois désormais de sauver « leurs » thermes en se mobilisant massivement pour cette cause.